samedi 6 avril 2013

Microévènements


Kekseksa les microévènements ?
Décrire un évènement contemporain de la visite effectuée, auquel vous avez été mêlé-e- d'une façon ou d'une autre.

Après la visite avec Olivia
Avec Olivier Salon.

Un brin de laine dépasse du bonnet gris moucheté d’Olivier Salon, quand il expose la consigne du « microévènement ». Qui a tiré sur ce morceau de laine pour le faire s’extraire du bonnet comme un ver sort d’une pomme après qu’il n’y a plus rien à manger à l’intérieur ? Ce brin de laine a pris la couleur du cerveau du poète. Il en est un fragment, un résumé, une bouture. Il est sorti rapidement, peu gêné qu’il était par la chevelure. Il a quelque chose à me dire : un fragment de poème qui dit :
Sait-on d’où je reviens ?
je relève de la grippe.
Ce que j’ai traversé
aucune autre bête ne l’aurait traversé.
Jacques Jouet

Microévènement

Je regarde sur ma droite des tableaux à l’intérieur d’une galerie d’art en me demandant si ça vaut le coup d’y rentrer, il y a un grand visage féminin, l’air effrayé peint en vert. Devant un bus jaune est arrêté au milieu de la rue qu’il bloque. Sur mon trottoir, celui de droite, un grand homme aux cheveux gris apostrophe crie : » ton fils a failli se faire écraser, c’est sérieux. » Il fait un geste énervé. Il me semble qu’il s’adresse à l’homme qui est devant, cheveux courts, jean, veste. Celui-ci vire vers moi en sortant un trousseau de clés de sa poche et verrouille la porte de la galerie aux grands tableaux pop dont je léchais la vitrine, celui qui me dépasse pour monter dans une jeep rouge qui démarre. Pourquoi ne rejoint-il pas son fils ? Et cet enfant, il a quel âge ? Le bus n’a pas bougé, je ne vois toujours rien... L’homme aux cheveux gris est remonté sur le trottoir puis il traverse devant le bus, il disparaît derrière. Mais que s’est-il réellement passé, à qui parlait-il ? Était-ce à son fils ? En heurtant mes semelles sur les pavés disjoints qui forment tous les trottoirs de Bruxelles, je dépasse le bus sur la droite sans rien voir. Il démarre lui aussi mais je ne me retourne pas. 


 Mar Bikx

Dans la rue grise à l’arrêt stoppé, le bus, 
il a failli être fatal à l’enfant.
Oui, c’est très sérieux quand on est écrasé !
Mais où est donc passé le père de l’enfant,
inconscient de cette rue où roulent les bus ?

Moi en marchant je n’ai vu aucun enfant,
sur les trottoirs des ordures écrasées.
Il réussit à bloquer la rue, ce bus.
Le poids du temps crée un effet écrasé, 
que l’on ne sent pas quand on est un enfant.

Dans la ville telles des fourmis écrasées
étourdies, à la merci du moindre bus,
grouillantes et affolées comme des enfants,
qui ne veulent surtout pas rater leur bus.
Tournent les aiguilles des minutes écrasées.

Camille Philibert




Microbe évènement



Sul’ trottoir

D’lav’nue dezArts

Je croiz la limouzin’

- longue comme un bus articulé,

Limousine (blanche), vitres (fumées

Ou est-ce l’inverse

Macro, micro évènement ? Allez-savoir

Le Pape se rend chez Van Rompuy ?

Ou le chauffeur va au contrôle technique ?

Résoudre l’énigme : attenter patissièrement sur la carosse-série…

Jean-Michel Pochet

Microévènement

Résolue à me rendre dans la ruelle où trône Jeanneke pisse pas, je trébuche et parviens à m’arrêter à quelques mètres d’un tuyau d’arrosage abandonné dans la rigole, inerte. Nous nous regardons un instant. Je lui souris et il me répond en crachant de l’eau sur mes chaussures. Je fais un bond en arrière, terrifiée par la découverte de l’humanité de cet objet que je croyais n’être qu’un objet mais qui, manifestement, est bien plus qu’un objet. Je tente de l’apprivoiser mais m’approche un peu trop rapidement. Il sursaute à son tour en un jet d’eau plus long que le premier. C’est positivement étrange. Le pauvre est étalé de tout son long et animé de spasmes vitaux émouvants. Voulant l’aider à se déplacer vers un endroit plus chaud et plus sec que cette sombre ruelle, je suis son corps maigre jusqu’à la base. Un homme est penché sur lui. Il l’embobine et chaque tour fait frissonner mon ami. Je voudrais lui dire d’arrêter mais un détail me laisse sans voix. Cet homme est penché sur l’enrouleur. Très penché. Très très penché. Trop penché. Il dévoile bien plus de choses qu’on ne voudrait en voir. Je me demande si jeter une pièce dans le bassin de Jeanneke porte autant de chance que de glisser un sou dans la fente offerte de ce gros monsieur. 


 
Mar Bikx
Laurence Magnée

Microévènement-poubelle
La poubelle du Palais des congrès, de style classique « poubelle d’extérieur de coin de rue de capitale, européenne ou pas européenne, mais en tout cas de capitale de l’hémisphère Nord, quoique… en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud ou…, plutôt de capitale de pays développé, du Nord ou du Sud, de l’Ouest ou de l’Est », la poubelle du Palais des congrès, DONC, est emmitouflée dans un sac-poubelle noir enfilé à l’envers sur la poubelle de style classique, etc. Le sac-poubelle est, lui aussi, de style classique, néoclassique du XXIe siècle, capacité 150 litres, vendu en rouleaux de dix unités dans tous les supermarchés des capitales européennes ou non.

La poubelle du Palais des congrès doit-elle être protégée du gel ? Elle-même ou son contenu ? D’expérience, tout un chacun sent bien que le contenu est certainement gelé. On imaginerait bien les gisants des restes de tarte qui se sont esclaffés sur Sarko, gelés momifiés pour l’éternité…

Mais pour l’heure, quel commun des flâneurs passant par là oserait-il profaner ce secret en arrachant le sac-poubelle qui tremble sous les rafales de vent glacé, même sous le prétexte impérieux d’y enfouir un kleenex en lambeaux roulé en boule au fond de sa poche 
douillette ?
Josiane Thibault


Ce matin, ces  farceurs d'entarteurs,
nous en ont mis plein les yeux.
Nous narrant les exploits des concombres croisades.
Nous nous sommes nourris de leurs récits épiques
Même les bâtiments, nous les avons vus,
 d'ordinaire stoïques, frissonnaient de stupeur
- et pas qu'à cause du vent.


Nous buvions leurs paroles ardentes,
(osée, la dose d'épices!)
réchauffant nos instincts rebelles.


Mais nous faire mijoter dans le froid,
nous a surtout ouvert l'appétit !


C'est alors qu'à midi, leurs complices ont sévi.
Pas de tartes en pleine face,
ce fut plus subtil que ça,
moins attendu, encore plus fourbu...

Une vague se propage dans la rue que nous traversons,
et traverse à son tour nos narines alertes.
La douce odeur qui s'échappe des boulangeries nous embaume,
jusque dans notre intimité, par nos nasaux, infiltrés.

Écoutez leur parfum qui clame :
Engauffrez ! Engauffrez ! Ces encapuchonnés affamés !
Élise Gauthier
 
Matongue, inodore, sans Africains, sans personne d’ailleurs, boutiques fermées, ciel gris. Un homme marche devant moi. Je vois la peau de son crâne, il palpite. Je le suis parce que nous allons dans la même direction, semble-t-il. Il tient un sac en plastique dans sa main droite.

Tout à coup, il avise une poubelle jaune, il y jette négligemment le sac qui l’encombre.

Je ne respire plus: du plastique dans une poubelle jaune !

Je retiens la réprimande qui me monte aux lèvres, je me dis que ce n’est pas mon affaire, je me dis: “on est dimanche”. Je me dis: ” Il n’est pas d’ici, il ne sait pas”.

Je ne me dis plus rien.

Je reprends la route que je n’ai d’ailleurs jamais interrompue.

Michelle Poznantek

La justice en négatif
Palais de justice
Un avocat de dos aux marches du palais
Il parle à son client, un homme noir qui lui fait face.
Au-dessus de son épaule pend l’écharpe noire de sa robe d’avocat.
L’avocat a des cheveux blancs très courts, crêpus. Il se retourne : c’est un noir albinos.

Françoise Guichard

Il est totalement dissimulé, enfoui sous un bonnet de laine, sous un duffle-coat épais. Ses jambes graciles gainées d’un blue-jeans le portent à peine : on le sent. Il est malade mais affronte avec courage et avec bonne humeur le froid et le vent du matin. Et il trouve la force, malgré la faiblesse de son état, de donner une consigne, en vue des exercices d’écriture de l’après-midi : « Noter, au fil de la promenade, quelque chose de drôle, d’inattendu, non pas une chose banale et éphémère, mais quelque chose d’insolite, juste un peu plus inhabituel que l’éphémère quotidien ».
C’est ce qu’il appelle un « MICROÉVÈNEMENT ».
A peine a-t-il fini sa phrase, Olivier, le voilà qui tousse !
Est-ce cela un… MICROBE ÉVÈNEMENT ?

Wana

C’est, à n’en pas douter, une chose inattendue. Qui va devenir, de microévènement, un macro-sujet d’écriture : tout le monde a vu cette botte orpheline, qui bat le trottoir, solitaire, à l’angle de la rue Balliard et de la rue de l’industrie.

Wana

« Ceux-là, je les fais payer, dit-il, c’est dix euros ! »
Jan s’apprête à écrire sa dédicace sur le calendrier illustré de photos de lui, nu, sans slip, que lui présente Jean-Michel.
Jean-Michel pense que Jan est un plutôt gonflé de lui demander de payer pour une dédicace sur l’exemplaire du calendrier qu’il avait acheté la veille…

Wana

Sur la Chaussée de Wavre, un clocher
C’est l’église du Saint-Sacrement
De la brique crue, une bâtisse
Avec un parvis plat de ciment
Et sur la porte un texte affiché

Jaune pour capter l’œil des passants
Il détaille l’heure des offices
En néerlandais et en français
Par l’entrebâillement, je me glisse
Et je m’approche tout doucement

Au fond de la nef, je vois le Christ
Bras en croix et la tête penchée
Suspendu dans l’air, au firmament
Point de croix de bois pour l’accrocher
Ni clous pour infliger son supplice.

Wana

Récit d’un microévénement

L’homme a une trogne digne de celles qu’on vient de voir sculptées en bas-relief sur le « monument aux vivants » de la rue du Faucon. Sauf qu’il ne rit pas du tout. Songeur, voire triste, il est accoudé à quelque chose qui ressemble à une carriole de marchande de quatre saisons, mais vide de tout contenu, vide comme son regard. Jacqueline lui adresse pourtant la parole : — « C’est vous qui vendez des caricoles ? » Stupeur de l’homme à la trogne, dont la mâchoire tombe, découvrant une langue épaisse. Il n’a pas le temps de répondre, un passant qui passe le fait à sa place : « Elle n’est pas là », dit-il, « son mari est décédé ». Plus tard, Jacqueline m’apprend que la caricole est un gros escargot de mer, plus gros encore qu’un bulot.

Élisabeth Chamontin


Dans le palais des Congrès, un vent chaud nous change du dehors. Nous écoutons Noël, en plein mois de mars. Sur le chemin, il nous avait confié qu’il était surveillé : coups de téléphone et « mail ». Mon regard est attiré par des voix. Deux espions déguisés en ouvriers parlent dans une langue qui m’est inconnue et font semblant de réparer les escalators (qui, paradoxalement, sont en marche). Un troisième et dernier larron fore en équilibre, plus haut, mais il ne regarde pas ce qu’il fait : il nous observe. 
 
Laurence Magnée



Lundi 18 mars 2013 : un micro-évènement

Galeries Saint-Hubert, lundi matin, un aspirateur ronronne, une touriste japonaise se photographie, un troupeau erratique d'Oulipiens épuisés cherche une occasion de se rebeller.

Le soleil à travers la verrière écailleuse illumine ces damnés de la terre quand, levant le nez du sol une malheureuse tâcheronne de la balade du matin ( 3 heures au moins, jour après jour, même le dimanche !) aperçoit, se découpant en ombre chinoise sur une fenêtre du haut deux silhouettes noires. Elles semblent avoir une conversation qui se termine par un geste montrant quelque chose là vers la gauche. Seraient-ce Karl Marx et Victor Hugo qui veulent nous livrer un message, s'interrogent nos forçats du travail culturel.

Renseignement pris auprès de leur Greeter, il s'avère que la direction indiquée est celle d'une librairie de la Galerie des Princes. Tiens, tiens, une librairie, les dos se redressent, les Oulipens vont à la découverte de leur nourriture préférée, vitrine par vitrine, ils commentent, apprécient, momentanément délivrés de leur boulet.

Une exclamation fuse : « venez voir ! » et notre attention est attiré par un livre trônant sur un lutrin,
la couverture est bigarrée, au milieu, bien en évidence, en caractères gras un « 50 » et les forçats de s'exclamer «  ça alors,! » .
50 oui, 50 quoi, à votre avis? 50 nouvelles nuances de porno soft? pfuuit, non, une traduction en espéranto d'Ali Baba et les 50 voleurs ?, pas plus, un album photo dédié aux stars américaines des années 50?, mais non, mais non, vous ne devinerez jamais.
Je vous imagine tous agacés:  «  sans intérêt sa petite devinette  », ne parlez pas trop vite, je vous le dis ou je vous le dis pas ?
Vous l'aurez voulu, vous ne saurez donc pas que la couverture annonçait...

50 ANS

D'OULIPO.

Rires, congratulations, voilà les esclaves de l'écriture réconciliés avec la vie, prêts à aller apporter un soutien inconditionnel et néanmoins rebelle aux valeureux Egmont et de Hornes.

Cécile Schouten


Rina croit qu’elle aura une amende
Rina craint l’amende
Rina court pour éviter l’amende
Rina revient et raconte
On croit qu’elle parle d’un amant
d’un amant au beau visage de Saint Jean
ou peut-être de saint Michel descendu
du haut de la tour de l’hôtel de ville
Mais saint Michel n’est pas beau comme saint Jean
Il n’est plus en hauteur, il n’est pas à la hauteur,
Rina ne veut plus de lui comme amant
Rina n’a plus d’amant
Rina n’a pas eu d’amende

Élisabeth Biront

Énigme


Réponse à la question « Pourquoi un des martyrs de la révolution a-t-il eu droit à deux inscriptions de son nom sur la stèle de la crypte de la Place des Martyrs? »


Jean-Baptiste Maes
Oui, j’ai fini ma vie dans la peau d’un martyr
Et mes restes reposent sous une sombre stèle.
Ah ! Lorsque l’on est mort, comme le temps s’étire !
Quand on est couché là, ce n’est pas un hôtel.

On n’en sort plus jamais. Tout est cuit, c’est fini !
Pour la postérité, vous n’êtes plus qu’un nom.
Et cela, voyez-vous, c’est la grande avanie :
De moi qu’on se souvienne aussi peu. Ah, ça... non !

Alors, la nuit tombée, j’ai œuvré dans mon coin.
Deux fois à la suite sur la pierre bombée
J’ai gravé mon nom MAES pour qu’on ne m’oublie point
Et merde à qui le lit ! Qu’il en soit perturbé !

Françoise Guichard
Crypte de la Place des Martyrs (Cliquer pour élargir)

Le pauvre Jean-Baptiste Maes n’avait jamais réussi à parler correctement. Il était devenu bègue à la suite de la frayeur que lui avait causé, à l’âge de dix-huit mois, le spectacle de sa maison en flammes et la mort tragique de ses parents. Aussi, quand ses copains le poussèrent devant le recruteur, il ne pur articuler que « mbe mbe mbe », ce qui fut pris comme un acte d’engagement méritoire. Au premier ennemi qui le mit en joue, il eut un geste nerveux et appuya deux fois sur la détente. Les balles, suivant une trajectoire divergente, tuèrent deux Hollandais. Aussi fut-il décoré deux fois de la croix de fer, et fêta-t-il la chose en sacrifiant à Gambrinus. Reparti sur le champ de bataille, il s’y écroula ivre mort et fut compté parmi ceux-ci. Se réveillant à la morgue avec un terrible mal de crâne, il repartit aussi sec au combat, où il attrapa la première balle qui passait par là. On le reconduisit à la morgue où il fut compté pour la deuxième fois. C’était un type qui en valait deux.

Élisabeth Chamontin

Jean-Baptiste Maes était sur les barricades de Bruxelles en 1830. Il se prit un boulet en pleine poire, un soir de malheur et pourtant, il en valait bien deux... Il s’en était tant vanté auprès de ses amis, dont le graveur sur pierre officiel chargé d’éterniser l’évènement, que celui-ci lui rendit cet hommage discret autant qu’ésotérique...

Mais non ! Jean-Baptiste Maes, occis le 19 juillet 1830 dans le parc de Bruxelles, avait un frère jumeau, Jules-Bernard Maes, qui fut tué le lendemain. Le graveur chargé d’alimenter la stèle commémorative, ayant bu quelques bouteilles de Maes de trop, ce jour-là, ne se rendit compte de rien et grava distraitement deux fois le même nom.

Henry Landroit

Pourquoi Jean-Baptiste Maes, l’un des martyrs de la révolution, a-t-il eu deux fois son nom gravé sur la stèle ?

On peut attester qu’ils étaient plusieurs…
Plusieurs graveurs chargés de graver, je veux dire…
Et cette fois-là, la personne qui avait préparé leur travail avait constitué plusieurs listes de noms, qu’elle avait reproduits en lettres capitales romaines sur plusieurs feuilles : sans doute trois listes, peut-on estimer.
Mais, ainsi que cela arrive à nombre de tabellions qui officient dans de nombreuses mairies, celui-ci n’était pas infaillible.
S’étant interrompu à la fin de la première liste, pour aller déjeuner, il avait coché le nom de Jean-Baptiste Masse comme étant le dernier recopié sur le premier programme de travail qu’il venait de terminer, et qu’il remettrait le lendemain au premier de trois graveurs de service.
A son retour de déjeuner, il avait repris son travail en constituant un deuxième programme de travail destiné au deuxième graveur de service pour le lendemain. Il avait, en conséquence continué à transcrire en lettres capitales romaines, les noms des martyrs, en commençant par celui qu’il avait marqué comme étant le prochain nom à reproduire.
Et c’est ainsi que le nom de Jean-Baptiste Maes fut transcrit deux fois.

Nous avons pu reconstituer cet épisode de la création de la stèle des Martyrs et il a été possible de découvrir, lors de cette recherche, qu’un autre nom avait été recopié deux fois sur des listes de travail différentes : celui de Albert-Justinien Bloommaert. Cette deuxième erreur de transcription s’était produite au moment de la pause du goûter.
Toutefois, comme les graveurs travaillaient en 3 x 8, cette erreur aurait dû être exécutée lors de la relève du deuxième graveur par le troisième.
Fort heureusement, ce jour-là, le syndicat des graveurs avait organisé une grève des graveurs. Et le troisième graveur ne prit pas son service.

Wana

Depuis l’aube du christianisme, le culte des martyrs a, il faut le savoir, donné lieu à une multiplication exponentielle de reliques en tous genres. Ainsi, Sainte Julienne a-t-elle eu jusqu’à quarante têtes, toutes reconnues authentiques par le Vatican, qui à certaines époques n’était pas regardant. Pourquoi en serait-il autrement de la glorieuse Révolution belge de 1830, sachant que cette révolution était sanctifiée et bénie par la Sainte Église catholique, apostolique et romaine ? Ce qui est donc surprenant, c’est plutôt que Jean-Baptiste Maes, de Bruxelles, soit le seul dont la dépouille mortelle se trouve simultanément en deux endroits différents, derrière deux stèles situées à quelques mètres l’une de l’autre, et dont chacune porte son nom. Cette exception pose évidemment problème. Un seul cas ? C’est louche.
À mon avis, si on fait un jour l’inventaire des corps reposant derrière les stèles, et même en tenant compte
1°) de l’absence avérée du Duc de Mérode, dont le nom figure pourtant sur une plaque, ce qui pourrait bien dissimuler un autre martyr dédoublé,
2°) du fait que des enfants jouant sur le chantier auraient éparpillé au hasard quelques ossements,
en bonne logique on devrait se retrouver non en face de 466 cadavres plus ou moins entiers, mais de 800 ou de 1000, voire beaucoup plus.
À moins qu’il ne s’agisse d’un parfait homonyme, Jean-Baptiste étant un prénom des plus communs, et Maes un nom fort répandu. Quant au fait d’être natif de Bruxelles, ce n’est même pas un critère.
À moins que le brasseur Maes ait participé au financement de la stèle, et/ou à l’approvisionnement en boissons des graveurs,
À moins que…

Irène Rusniewski

La Fonderie


Textes écrits le 16/03/2013 à La Fonderie après la visite de l’exposition consacrée au travail.

Animatrice : Coraline Soulier

Bruxelles est une ville multiculturelle.
La langue emprunte donc des termes issus de langues étrangères.
Chaque participant donne à son voisin 3 mots étrangers à intégrer dans son texte.

Avec les mots catalans donnés par Françoise
corco : fourmi
granota : salopette
treball : travail

Ils sont là penchés, nombreux comme des corcos
appliqués, en costume ou en granota
présent ou absent à leur treball
Sont-ils fiers ou tristes de leur granota,
De leur existence de corco ?

C’est un carcan pour eux que la granota
mais le goût de bien faire leur treball
est inscrit dans leurs veines de corco
ils sont venus de loin pour ce treball
les mots de là-bas tournent dans leur tête et jeter aux orties sa granota

ce serait renoncer au treball
être exclu de la tribu très belle des corcos
alors on préfère garder sa granota
et trier, malaxer, tanner, lessiver, bonne petite corco
au service de la reine treball

Coraline Soulier






Telle une cheffe d’orchestre devant sa partition fleurie de plastic
la blanchisseuse est suspendue par l’instantané
au milieu d’un moderato cantabile.
La musique règle la chorégraphie des souples ouvrières,
dans leurs mains les chemises se déploient comme les sept voiles de Salomé.
Les parfums se bousculent,
notes trompettantes et tambourinantes d’un nouveau sacre du printemps.
Vous avez vu les grands sacs de toile suspendus au plafond bas ?
Un jour ils s’ouvriront,
déverseront des vapeurs irisées de Méditerranée
et de chaudes lueurs vibrantes
et les blanchisseuses, devenues naïades,
riront de bonheur.

Cécile Schouten

Avec les mots népalais donnés par Madeleine :
Tashidelek (merci),
Bodeyna (je ne parle pas),
Namasté (je salue le dieu qui est en toi)

Poème 1

Bruxelles Saint Géry Plage bodeyna
Horloge tripot postal tashidelek
Défense de feuler namasté

Tahiti Industrie bruxellisé namasté
Douche froide mécanique bodeyna
Danger d’explosion tashidelek

Bruxelles circuit haussmanien tashidelek
Instantané à feu nu namasté
Défense de meuler bodeyna

Michèle Minne

Poème 2

Gesticuler namasté
Vapeur charbon tashidelek
Écoute s’il pleut bodeyna

Écoute s’il neige bodeyna
Sueur santé namasté
Recycler tashidelek

Récupérer tashidelek
Moteur-ronron bodeyna
Écoute s’il vente namasté

Michèle Minne




Avec les mots anglais :
soap
punk
bastard

À Manchester,
je pointe à l’aube,
je cours, je tourne, j’attends
l’heure de la soap,

À Manchester,
le soir,
après le turbin,
avec les copains,
on s'boit des bières,
on s'lâche, on est punk.

À Manchester,
c’est dur, c’est rude,
on n’est pas en costard,
nous, on est les bastards

À Manchester,
on vient de nulle part,
on est bastard,
à deux pieds dans la soap,
c’est pour ça qu'le soir
on est punk.

À Manchester,
où qu'tu sortes le soir,
t’es punk
À Manchester, où qu'tu rentres,
t’es bastard
À Manchester, où que tu restes,
c’est pour la soap.

Mar Bikx


    Avec les mots néerlandais :
    handschoenen (gants)
    deur (porte)
    rijden (rouler)

      Il faut que je quitte mon nid, mon ange. RIJDEN
  De l’usine, je passe la porte DEUR
  J’enfile mes gants HANDSCHOENEN

  Je ne suis plus moi-même
  La roue m’emporte
  Il faut tenir

  Je dois être efficace,
  Je dois être solide,
  Je dois être précis.

  J’apporte le pain ce soir
  payé de ma sueur,
  payé de ma souffrance.

  La roue m’emporte
  mais je donne le meilleur.
  J’ai confiance, je tiens.

  Je suis fier
  de mes forces.
  Avec mes camarades.
  sommes fameux gaillards.

  Me défends de certains
  et de leurs mauvais coups.
  Je lutte et me concentre.

  Nourrir ma famille.
  Mon fils plus tard
  ne travaillera pas ici.

  Dans ma tête, je rêve
  Mais
  la roue m’emporte.

  Je tiens
  derrière ces murs
  je donne le meilleur.

Madeleine Hanjoul
     
    Avec les mots néerlandais donnés par Élisabeth :
    boterham (tartine), stuk (morceau), brusseleir (bruxellois)

    Nous entrons dans une zone de travail
    Vite, vite planquez vos boterham (s)
    Le corps seul, mes frères, puise ses forces au fond de l’âme.

    Défense de fumer, même un stuk
    Défense de dévoiler sa nuque
    Vite, vite attachez votre tuque !
    (expression québécoise : prendre ses précautions)

    Col bleu, col blanc, amis brusseleirs
    Vite, vite c’est l’heure de se pointer, mes frères
    Priez pour nous Sainte-Machine, Sainte-Bière.

    Anne Jaucot


    Avec les mots néerlandais donnés par Mar :
    de duivel (le diable),
    een boel (un travail),
    vandaag (aujourd’hui)

    Un travail pour manger ce soir, den duivel
    Un travail pour gagner quelques sous, den duivel
    Un travail pour soigner mes blessures, den duivel
    Un travail pour oublier

    Mon travail pour soulager tes maux, een boel
    Mon travail pour rencontrer mes amis, een boel
    Mon travail pour partager nos idées, een boel
    Mon travail pour participer

    Notre travail pour inventer un futur, vandaag
    Notre travail pour évoluer toujours, vandaag
    Notre travail pour s’amuser aussi, vandaag
    Notre travail pour exister enfin

    Ou peut-être demain.

    Élisabeth Biront